Les missions catholiques françaises et le développement des études igbo dans l'Est du Nigéria, 1885-1930
Françoise Ugochukwu
Cet article, consacré au développement des études igbo dans l'est du Nigeria entre 1885 et 1930, retrace la progression des missions catholiques françaises depuis le Sénégal jusqu'au cœur du pays igbo. En grande partie basé sur des documents d'archives, il met en lumière le rôle crucial joué par les Spiritains et la Société des missions africaines (SMA) de Lyon dans la mise par écrit de la langue, la collecte de la littérature orale et la diffusion du dialecte d'Onitsha dans le pays. Comparant les travaux des Français à ceux de leurs prédécesseurs de la Church Missionary Society britannique, il démontre que les publications missionnaires spiritaines et SMA ont ouvert la voie et rendu possible les progrès de la linguistique et de la littérature igbo, et que les auteurs peuvent être considérés comme les précurseurs de la coopération actuelle entre la France et le pays igbo dans le cadre des relations franco-nigérianes.
Le mouvement de renaissance culturelle vécu par le Nigéria dans les années 1970, alors même que se développait dans le pays l'enseignement de l'anglais et des langues étrangères, a rendu leur place aux trois langues principales - le hausa, le yoruba et l'igbo, et permis leur inclusion dans les programmes d'enseignement fédéraux. Le sentiment de libération et l'exubérance qui accompagnaient ce renouveau ont, depuis, souvent amené les uns et les autres à déplorer ce qui est perçu comme l'impact négatif de l'entreprise missionnaire. Selon l'un des premiers historiens du pays, pourtant, "les missions chrétiennes ne se sont pas contentées de détruire; elles ont aussi construit et on peut même dire qu'elles ont fait un travail de préservation." Leur plus forte implantation en pays igbo, principalement à l'est du Niger, région qui, statistiquement les accueillit avec le plus d'enthousiasme, était en tout cas le fruit de longues années de périples, d'études, et des efforts conjugués de plusieurs sociétés missionnaires, françaises en particulier.
Les spiritains de la mission d'Onitsha "durent faire face à de nombreuses difficultés: outre le choc culturel, il leur fallut briser la barrière de la langue." La mission se développe néanmoins assez rapidement sous la houlette de Joseph Lutz. Des paroisses sont établies dans l'arrière-pays, à commencer par Obosi et Atani en 1887. En 1888, le chef d'Aguleri invite les missionnaires français chez lui. Deux ans plus tard, Lutz y envoie le Père Albert Bubendorf pour considérer la possibilité d'ouvrir une mission, et Idigo donne à ce dernier l'un de ses fils, qui rejoint l'école de la mission à Onitsha. Ces progrès amènent le Supérieur général de la Congrégation, le R.P.Emonet, à demander à ses supérieurs hiérarchiques, dans une lettre datée du 4 février 1889, que la mission soit érigée en préfecture apostolique, ajoutant que la mission, établie depuis maintenant trois ans, "a déjà produit d'heureux fruits et va se développant de plus en plus."
Le développement actuel de la linguistique et de la littérature igbo, qui a permis la publication de grammaires, de dictionnaires et d'une production littéraire de valeur, doit certainement beaucoup à l'oeuvre missionnaire, et aux catholiques français, SMA et spiritains en particulier, qui peuvent être reconnus comme des précurseurs non seulement sur le plan linguistique mais également comme ayant ouvert la voie à la coopération actuelle entre la France et le pays igbo dans le cadre des relations franco-nigérianes.
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