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Roland Barthes : l'Empire des Signes

Roland BARTHES : l'Empire des signes

Un empire sous les signes du vide, du trait et de l'interstice…
Avec l'Empire des signes, Roland BARTHES tente (non sans succès semble-t-il) de se soustraire à ce qu'il nomme la sémiocratie occidentale, en l'occurrence la discipline officielle, autorisée. De fait, il démarque résolument sa recherche des domaines de la sémiologie institutionnelle que représentent l'art, le folklore ou même la civilisation. Tout au long de son périple, il s'applique à (sic) oublier la petite bourgeoisie nippone, la poussée qu'elle exerce très certainement sur les mœurs, l'art de vivre, le style des objets, etc. Et, ce faisant il s'épargne ainsi ce qu'il nomme la nausée mythologique.
Non, il débusque les représentations les plus significatives du signe (sic) dans les conduites les plus futiles, celles que nous renvoyons ordinairement à l'insignifiance ou la vulgarité. La quête prend alors l'allure d'une promenade inoffensive et sans conséquence dans la ville, au restaurant, dans la rue, au théâtre… une promenade au cours de laquelle l'auteur, dans sa tenue de touriste, d'ethnographe innocent, et sans arrière-pensée, va de touche en touche, de notation en notation, composer une œuvre faite (sic) de tableautins, de mythologies heureuses qui se révèlera incontournable pour une connaissance autre du Japon.
L'Empire des signes est défini communément comme un essai de sémiologie sociale (au même titre que Mythologies, 1957, Le système de la mode, 1967 ou S/Z, 1970). Pour moi, l'œuvre s'est révélée être un pur exercice de style, au cours duquel BARTHES s'est adonné à un ensemble de variations sur le thème Japon. Les signes de cet Empire résultent de ces multiples langages sociaux nés de traditions millénaires et demeurés des pratiques actuelles. Ces langages ~ nés de l'écrit, du geste, du corps et ressortant d'habitudes autant que d'attitudes ou de pratiques - doivent leur organisation, trouvent leurs signifiants dans trois formes principales et complémentaires : la forme vide, le trait et l'interstice.
Et, BARTHES montre comment à partir de ces trois seuls motifs, évoquant absence ou extrême fragilité, s'est organisé non seulement un modèle cohérent, mais aussi une structure dont la force faite d'un ensemble de faiblesses s'est avérée apte à résister aux incursions culturelles de l'occident.
En toute logique, Les trois parties de mon développement s'appuieront donc sur chacune de ces trois formes : le vide, le trait et l'interstice.


Le vide
Le vide est la forme parfaite, celle qui sous-tend toute l'architecture des signes, ces langages que BARTHES nous donne à découvrir. Le vide est érigé en paradoxe, puis que c'est de lui que procède la vie, autour de lui que s'organise la forme.
Somme toute (sic) c'est aussi un vide de parole qui constitue l'écriture : c'est de ce vide que partent les traits dont le ZEN, dans l'exemption du sens, écrit les jardins, les gestes, les maisons, les bouquets, les visages…
Le vide peut être topographique. Par exemple, contrairement à ce qu'on a l'habitude de voir partout ailleurs, le cœur de TOKYO s'organise autour d'un anneau de verdure, les jardins du palais impérial, demeure d'un empereur invisible. BARTHES parle à cet égard de Centre-Ville, centre vide. De même, les quartiers tokyoïtes se développent à partir des centres vides que sont les gares. Et il en va ainsi des plans de ville suscitant une multiplication de gestes, de dessins manuscrits, en bref tout un génie inventif autour de l'absence de nom des rues de la capitale japonaise…
Pour ma part, arbitrairement j'ai choisi de développer une catégorie particulière de vide : le vide du sens, que BARTHES a attaché à ce genre poétique particulier, branche littéraire du ZEN, le Haïku.
On pourrait dire, pour résumer les quatre chapitres de l'Empire des signes relatifs au HAIKU, que BARTHES a fait œuvre de critique en développant une sorte d'Art Poétique à l'envers, qui explique ce qu'est véritablement cette forme poétique spécifiquement japonaise et par antithèse tout ce que la littérature occidentale est dans l'incapacité d'être, prisonnière qu'elle est de ce complexe de supériorité qui l'empêche de comprendre autrement que par ses propres a priori.
Le HAIKU constitue une tentation permanente pour l'esprit occidental, mais le paradoxe qui tient à sa simplicité complexe rend toute tentative occidentale de compréhension et de reproduction par avance caduque.
J'ai pris le risque de l'incompréhension et du contresens pour essayer de réduire à quelques propositions, les principaux antagonismes entre la nature du HAIKU et les erreurs d'interprétation qui en découlent ordinairement en Europe.
Le HAIKU est une forme poétique brève et simple.
Pour un occidental, Le HAIKU serait le compte rendu, par l'entremise d'une écriture spontanée, d'impressions d'autant plus brèves qu'elles sont parfaites, et d'autant plus simples en apparence qu'elles sont profondes.
Mais, là où l'art occidental Transforme à coup sûr l'impression en description, Le HAIKU la convertit en (sic) essence fragile d'apparition.
Et si le répondant spirituel de la description à l'occidentale se trouve dans ce qu'on nomme la contemplation, (sic) inventaire méthodique des formes attributives de la divinité ou des épisodes évangéliques, le HAIKU, forme poétique du ZEN, est au contraire articulé sur une métaphysique sans sujet et sans Dieu (Le ZEN est une religion sans Dieu). C'est la saisie de la chose non comme substance, mais comme événement.
Le HAIKU est une forme à la fois intelligible et vide de sens.
Pour un occidental, le HAIKU est d'autant plus accessible qu'il s'offre à une lecture d'apparence transparente et offre en même temps une leçon à moindre coût en mots, images, symboles et sentiments.
En fait, Le HAIKU est fermé aux voies d'interprétation visant chez nous à en percer le sens par effraction. Car, à l'instar du Bouddhisme Zen, il emprunte ce que BARTHES nomme la voie du sens obstrué, celle qui se situe en dehors du raisonnement paradigmatique classique (ceci est A, ceci n'est pas A, ceci est A et non-A, ceci est ni A ni non-A). Le but ultime du HAIKU n'est pas d'ouvrir la voie à un effort de réflexion et à une interprétation, mais au contraire à un espace vide, (sic) un moment où le langage cesse. Mais, il ne s'agit pas de considérer que cette absence de langage fait place à (sic) un silence lourd, plein, profond mystique… Il s'agit essentiellement d'assécher les bavardages incessants de l'âme et d'abolir tous ces brouillages induits par la multiplication des (sic) pensées secondes (la pensée sur la pensée). En définitive, (sic) il ne s'agit pas d'écraser le langage sous le silence mystique, mais de le mesurer, en neutralisant par avance toute tentative de substitutions symboliques.
Le HAIKU offre des propositions simples et courantes.
Pour un occidental, tout a obligatoirement un sens et le HAIKU étant une forme poétique, il convient de l'expliquer par la symbolique et/ou la stylistique, faute de quoi tout commentaire devient impossible et se résume à de la paraphrase pure et simple.
En fait, (sic) le HAIKU n'est pas une forme riche réduite à une forme brève, mais un évènement bref qui trouve d'un coup sa forme juste. Il a la pureté, la sphéricité et le vide même d'une note de musique ; c'est peut-être pour cela qu'il se dit deux fois en écho. En effet ne le dire qu'une fois sous-entendrait qu'il s'agit d'une parole parfaite, le dire plusieurs reviendrait à faire croire qu'il détient une profondeur à découvrir, (sic) entre les deux, l'écho ne fait que tirer un trait sous la nullité du sens.
En conclusion, on peut dire que le HAIKU est un langage qui trouve la plénitude de son sens en lui-même. Il est en même temps signifiant, signifié et signe. Barthes le définit comme (sic) une répétition sans origine, un événement sans cause, une mémoire sans personne, une parole sans amarres.


Le trait
Comme on l'a vu, le HAIKU, dans son essence, échappe à toute tentative de récupération et d'exploitation utilitariste. Il ne définit ni ne décrit, il répond seulement - si l'on peut dire - à l'exigence ZEN qui veut qu'on l'écrive (sic) juste pour écrire. Car ce qui est aboli en lui, c'est moins le sens ~ (sic) le sens n'y est qu'un flash, une griffure de lumière ~ que (sic) toute idée de finalité.
Et tel un idéogramme tracé dans l'air, (sic) comme une boucle gracieuse, le HAIKU s'enroule sur lui-même, le sillage du signe qui semble avoir été tracé s'efface : rien n'est acquis, la pierre du mot a été jetée pour rien : ni vagues, ni coulée du sens.
Identifiant la nature idéographique du moindre mode japonais d'expression, du moindre signifiant ~ descendant jusqu'au paquet, à la boite la plus simple ~ BARTHES s'applique à identifier le trait sur chaque surface même la plus inattendue, même la moins probable.
Le trait devient ensuite partie intégrante d'une écriture sans droit à la faute. BARTHES explique à cet effet que la papeterie japonaise pourtant prolixe en inventions (sic) de formes et de qualités pour les deux matières primordiales de l'écriture, à savoir la surface et l'instrument traceur, n'a à son actif aucune invention de gomme. L'écriture doit donc s'avérer parfaite dès le départ. Philippe SOLLERS, cité dans un encart de l'empire des sens, parle de la colonne d'écriture (sic) où apparaît d'abord un "unique trait" le souffle qui traverse le bras creusé, l'opération parfaite devant être celle de la "pointe cachée" ou de "l'absence de traces" (Sur le matérialisme, 1969). BARTHES pour sa part, préfère parler de caractère tracé (sic) alla prima et du paradoxe (sic) d'une écriture irréversible et fragile.
Partout, le trait domine dans les formes. Il en va notamment ainsi dans les constituants de l'architecture intérieure traditionnelle, (sic) tout ici est trait, comme si la chambre était écrite d'un seul coup de pinceau.
L'écriture quant à elle est donnée à lire partout ou presque. Jusqu'à la nourriture qui par l'alternance des substances, des matières, des couleurs et des touches devient écriture, (sic) ainsi la nourriture japonaise s'établit-elle en un système réduit de la matière (du clair au divisible) dans un tremblement du signifiant : ce sont là les caractères élémentaires de l'écriture. Cette écriture-là se signale aussi par son irréversibilité (parce qu'appelée à disparaître) et sa fragilité…
Mais ici encore, comme au niveau du HAIKU, le terme LIRE devient suspect. Par exemple en ce qui concerne l'art du bouquet, l'ikebana, que l'auteur assimile à une forme d'architecture ou d'écriture, dont la main peut explorer les volumes, il s'agit (sic) non point [de] le lire (lire son symbolisme) mais de refaire le trajet de la main qui l'a écrit : écriture véritable, puisqu'elle produit un volume et que refusant à la lecture d'être le simple déchiffrement d'un message (fût-il hautement symbolique) elle lui permet de refaire le tracé de son travail.
Le visage par le medium du maquillage de théâtre devient lui-même support d'écriture, notamment dans le NÔ, où les rôles féminins sont dévolus à des acteurs masculins. (Sic) La face est seulement : la chose à écrire, mais ce futur est déjà lui-même écrit par la main qui a passé de blanc les sourcils, la protubérance du nez, les méplats des joues et donné à la page de chair la limite noire d'une chevelure compacte comme de la pierre. Il ne reste en fait de relief que les yeux et leur puits sombre. Le visage devient alors page blanche… (sic) réduit aux signifiants élémentaires de l'écriture (le vide de la page et le creux des incises) le visage congédie tout signifié, toute expressivité.
Alors le trait rejoint le vide, car (sic) cette écriture n'écrit rien (ou écrit : rien), mais il s'agit d'un vide signifiant car (sic) l'acteur, dans son visage ne joue pas à la femme, ni ne la copie, mais seulement la signifie. Et si, comme dit Mallarmé l'écriture est faite des "gestes de l'idée", le travesti est ici le geste de la féminité, non son plagiat.
L'écriture enfin, dans l'enroulement de ses traits idéographiques atteint à la pure sensualité esthétique, lorsque BARTHES la décrypte dans le tracé de l'œil japonais. (Sic) On dirait que le calligraphe anatomiste pose à plein son pinceau sur le coin interne de l'œil et le tournant un peu d'un seul trait… "alla prima", ouvre le visage d'une fente elliptique qu'il ferme vers la tempe. Le tracé est parfait parce que simple, immédiat, instantané et cependant mû comme ces cercles qu'il faut toute une vie pour apprendre à faire d'un seul geste souverain.
D'espace interstitiel, l'œil redevient trait à l'endormissement, (sic) une ligne fermée se ferme encore dans un abaissement des paupières qui n'en finit pas.


L'interstice
En premier lieu, l'interstice c'est pour BARTHES un espace-temps privilégié, c'est (sic) ce mince filet de lumière qui permet à la compréhension d'outrepasser la barrière de la parole et de la langue et d'accéder à tous les autres signifiants. (Sic) la langue inconnue, dont je saisis pourtant le respiration, l'aération émotive, en un mot la pure signifiance, forme autour de moi au fur et à mesure que je me déplace, un léger vertige, m'entraîne dans son vide artificiel, qui ne s'accomplit que pour moi : je vis dans l'interstice débarrassé de tout sens plein.
L'interstice se situe aussi à mi-chemin entre le vide et le trait. Mais, condition sine qua non du passage de l'un à l'autre, ciment virtuel entre la forme et son absence, l'interstice est pour BARTHES ce qui permet au signe de prendre corps tout en tirant son existence du vide.
Reprenons l'exemple de l'Ikebana. C'est bien l'interstice qui permet au bouquet d'accéder à l'existence, car (sic) ce qui est produit, c'est la circulation de l'air dont les fleurs, les feuilles, les branches […] ne sont en somme que les parois, les couloirs, les chicanes, délicatement tracés selon l'idée d'une rareté.
En effet, le volume n'exige pas, pour exister, un surplus de matière, cette compacité, cette abondance, seule garantie d'existence en Occident. Ceci est particulièrement significatifs de certaines nourritures japonaises, dont BARTHES se plaît à décrire autant l'esthétique que la rareté, qui dans ce cas précis s'associe à la légèreté. (Sic) l'anguille (ou le fragment de légume, de crustacé) cristallisée dans la friture […] se réduit à un petit bloc de vide, à une collection de jours : l'aliment rejoint ici le rêve d'un paradoxe celui d'un objet purement interstitiel, d'autant plus provoquant que ce vide est fabriqué pour qu'on s'en nourrisse (parfois l'aliment est construit en boule comme une pelote d'air).
Ici point de lourdeur, la délicatesse rejoint la fragilité dans toute l'essence de sa perfection. Résumé significatif et signifiant de la cuisine japonaise, la tempura, ce beignet qu'on dit d'origine portugaise, s'est affranchie de toute suspicion portant sur sa qualification même d'aliment frit pour atteindre à (sic) quelque chose que nous déterminons faute de mieux […] du côté du léger, de l'aérien, de l'instantané, du fragile, du transparent, du frais, du rien mais dont le vrai nom serait l'interstice sans bords pleins, ou encore le signe vide.
Trois signifiants (un principal : le vide, deux corollaires : le trait et l'interstice) suffisent à organiser de système que BARTHES appelle Japon, et à ébranler tous les a priori logiques, toutes les certitudes cartésiennes de la culture occidentale.
Ces trois signifiants trouvent la plénitude de leur signification dans l'abstraction du ZEN et leur meilleure représentation dans le corridor de Shikidaï, (sic) tapissé de jours, encadré de vide et n'encadrant rien… Incentré, l'espace est aussi réversible : vous pouvez [le] retourner et rien ne se passe, sinon une inversion sans conséquence du haut et du bas, de la droite et de la gauche : le contenu est congédié sans retour : que l'on passe, traverse ou s'asseye à même le plancher (ou le plafond, si vous retournez l'image), il n'y a rien à saisir.


L'Empire des signes au service de la critique théâtrale barthésienne
J'ai conscience au travers de mon exposé d'avoir été partiel, pour ne pas dire partial dans mes choix. Les signes que nous donne à lire Roland BARTHES, même s'ils s'appuient sur une architecture commune, sont multiples et nécessiteraient chacun une étude plus approfondie (depuis l'écriture du jeu jusqu'à l'écriture de la violence, en passant par l'écriture de la politesse).
On l'a vu, L'Empire des Signes est un essai structural de sémiologie sociale, mais par delà le relevé des signes, BARTHES n'a pu s'empêcher de faire œuvre de critique, en l'occurrence de critique théâtral brechtien. Il profite à cet égard de son exposé relatif au théâtre traditionnel japonais de marionnettes, le Bunraku (auquel il consacre trois chapitres de son essai) pour développer une critique structuraliste de l'acteur et de la scène occidentaux, à l'aune de la leçon brechtienne.
Le Bunraku est un théâtre de marionnettes, dont les poupées des deux sexes sont mues par trois hommes visibles : le maître au visage découvert et impassible (qui tient le haut de la poupée et son bras droit) et deux aides encagoulés de noir (chargés respectivement de mouvoir le bras gauche et le bas de la poupée). La partie vocale et chantée est dévolue à des récitants soutenus par des musiciens placés sur une estrade latérale à la scène.
Roland BARTHES remarque en premier lieu le rôle limité dévolu à la voix du (sic) vociférant, ce qui produit un effet de décrochage, d'une mise de côté de la charge émotionnelle portée par la voix au profit de l'aspect strictement formel de son émission. (Sic) la substance vocale reste écrite, discontinuée, codée […] aussi, ce que la voix extériorise, en fin de compte, ce n'est pas ce qu'elle porte (les sentiments) c'est elle-même, sa propre prostitution. Et, contrepoint à la voix : le geste dans sa double acception : (sic) geste émotif au niveau de la poupée, acte transitif au niveau des manipulateurs.
Et, par la séparation des registres, le Bunraku évacue, ou du moins canalise, ce que BARTHES nomme la substance empoissante qui inonde, submerge la scène occidentale : l'émotion. En effet, dans le Bunraku, (sic) l'émotion devient lecture, les stéréotypes disparaissent sans que pour autant, le spectacle verse dans l'originalité ou la "trouvaille". Par cette pratique, le Bunraku fait comprendre comment peut fonctionner (sic) L'effet de distance recommandé par Brecht, et très précisément située au centre de la dramaturgie révolutionnaire. Il s'agit d'un théâtre épuré, presque sériel, d'un spectacle total, mais divisé (sic) par le discontinu des codes, par cette césure imposée aux différents traits de la représentation. Dans ce contexte, tout recours à l'improvisation est exclu, car (sic) retourner à la spontanéité serait retourner aux stéréotypes dont notre "profondeur" est constituée. Et, comme l'avait pressenti Brecht, on a affaire ici à un théâtre de la citation, de la pincée d'écriture, du fragment de code, (sic) qu'aucun des promoteurs du jeu ne peut prendre au compte de sa propre personne [car] il n'est jamais seul à écrire. Le tressage des codes se soustrait ainsi à toute tentation métaphysique, et garde le caractère essentiellement horizontal de la ligne écrite par le jeu d'une combinatoire (sic) : ce qui est commencé par l'un est continué par l'autre sans repos.
Pour BARTHES, le comédien occidental est englué par (sic) la contagion métonymique de la voix et du geste, de l'âme et du corps. Et ce faisant, il se révèle le produit du caractère anthropomorphe du spectacle occidental, dont le fondement réside dans l'illusion de la totalité. Pourquoi illusion ? Tout simplement parce que (sic) sous couvert d'unité, l'acteur préserve la division de son corps, et partant la nourriture de nos fantasmes : ici la voix, là le regard, là encore la tournure, sont érotisés, comme autant de morceaux, autant de fétiches. (Sic) Le Bunraku convertit le corps fétiche en corps aimable. Il s'agit d'un spectacle a-métaphysique (comme l'est dans son genre la discipline du Haïku) - il congédie le concept qui se cache derrière toute animation de la matière, et qui est tout simplement l'âme.
Le théâtre occidental s'applique à manifester ce qui est réputé secret (les sentiments, les situations, les conflits) et à cacher l'artifice de la manifestation (la machinerie, la peinture, le fard, les sources de lumière) au cœur d'un espace théologisé (dont l'acteur serait la voix et le geste, et le public la conscience). A l'inverse le Bunraku met en scène, par la non dissimulation des agents du spectacle, (sic) l'action nécessaire à la production du spectacle : le travail se substitue à l'intériorité. Ce faisant, (sic) il débarrasse l'animation du comédien de tout relent sacré et abolit le lien métaphysique que l'occident ne peut s'empêcher d'établir entre l'âme et le corps, la cause et l'effet, le moteur et la machine, l'agent et l'acteur, Dieu et la créature : si le manipulateur n'est plus caché, pourquoi, comment voulez-vous en faire un Dieu… c'est par la démystification des artifices, que l'acteur cesse d'être une marionnette et que l'homme recouvre sa liberté.

Maurice BOURGUE

Auteur concerné :

Maurice Bourgue


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