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Petit Tom

et le coq

 

 

           Petit Tom habite une cabane au bord de la rivière. Il y habite depuis longtemps, depuis toujours peut-être.

         Petit Tom est sans âge : il ressemble à un enfant et à un vieillard tout à la fois. On dirait que le temps n’a pas de prise sur lui.

         Petit Tom vit de sa pêche. Elle le nourrit d’abord, et le surplus, il le vend au marché pour pouvoir se vêtir.

         Petit Tom se contente de peu. Sa seule richesse : son rire ; il fuse comme une étoile filante ; il illumine le ciel de ceux qui l’entendent.

         Petit Tom est un petit homme… heureux.

 

         Aujourd’hui, Petit Tom est amoureux. Il est amoureux d’Isabelle la coccinelle.

C’est en longeant la rivière, qu’il l’a aperçue. De loin, déjà, Petit Tom a ressenti comme une étrange sensation de chaleur dans la poitrine. Et lorsqu’il s’est approché, qu’il a regardé la belle, son cœur s’est mis à battre comme un énorme tambour.

Aujourd’hui Petit Tom est amoureux, et il veut déclarer sa flamme. Aussi va-t-il voir Franck le coq qui exerce le noble métier d’écrivain public.

Ecrivain public, cela consiste à écrire pour les autres toutes sortes de lettres : administratives, amicales, familiales, faramineuses même, et puis bien sûr, des lettres d’amour.

 

Face à Petit Tom, Franck le coq est là, l’air hautain. Il lui demande :

— Que me vaut l’honneur d’une telle visite ?

— Eh bien voilà, bredouille Petit Tom, je voudrais, enfin je souhaiterais, enfin aurais-tu l’obligeance…

— Arrive donc au fait ! interrompt Franck le coq.

— Il faut que tu m’obtiennes un rendez-vous avec Isabelle la coccinelle.

— Serais-tu épris d’elle, par hasard ? ironise le coq.

— Ben ben … C’est c’est un peu ça… bégaye Petit Tom.

— Bon, assied-toi là, je m’occupe de ton cas, garantit Franck le coq.

Et de fait, le coq s’installe à son bureau, sort d’un tiroir une grande feuille de papier, s’empare d’un encrier, arrache de sa queue une superbe plume qu’il taille avec la pointe d’un couteau, puis, dans un silence majestueux, commence à rédiger une lettre.

— Tu n’as pas d’ordinateur ? ne peut s’empêcher de lâcher Petit Tom.

— Que non ! répond dédaigneusement Franck le coq. Mais je suis tout de même moderne : je n’écris pas à la plume d’oie, moi !

Et Franck le coq se replonge dans son travail.

 

Après de longues minutes durant lesquelles il paraît aussi absorbé que l’eau d’une éponge, Franck le coq relève la tête, triomphant :

— Voilà, proclame-t-il, ta missive est faite.

Et d’un geste satisfait, il tend la lettre à Petit Tom.

En la lisant, ce dernier n’en croit pas ses yeux !

La voici :

 

Mademoiselle la Coccinelle

     Comme suite au regard que j’ai eu l’honneur de poser sur vous, je tiens à vous faire savoir que j’ai reçu un choc de type amoureux classé dans le genre passion.

     Aussi oserai-je vous demander de bien vouloir remplir le formulaire ci-joint (K838), formulaire sur lequel vous voudrez bien indiquer, entre autres, l’heure, le jour, le mois, l’année et le siècle qui vous conviendraient pour un rendez-vous non professionnel.

     Dans cette attente, veuillez agréer, Mademoiselle la Coccinelle, l’assurance de mes considérations les plus plates.

Petit-Tom-Un-Jour-Sera-Grand

        

— Qu’est-ce que c’est que ce charabia ?! s’exclame Petit Tom. Isabelle la coccinelle n’y comprendra rien ! Et elle me prendra pour un crétin !

         — Que veux-tu dire par là ? s’étonne Franck le coq.

         — Je ne veux rien dire par là, crie Petit Tom, sinon que cette lettre est… tout sauf une lettre d’amour !

         — Ah bon, soupire Franck le coq. Ce n’est pas grave, je vais en écrire une autre.

         Et il se plonge à nouveau dans le travail.

 

         Vingt bonnes minutes s’écoulent. Et Franck le coq, triomphant :

         — Cette fois-ci c’est fait ! Tu seras… satisfait !

         Il tend la lettre à Petit Tom, qui la découvre ainsi :

 

Chère Isa,

     Ma petite poulette (si j’ose dire) je suis raide dingue de toi. Je te file un rencard où tu veux quand tu veux. J’en dis pas plus long. Je n’aime pas pondre des bafouilles.

Ton-Gros-Tom-Qui-Te-Kiffe

 

         — Qu’est-ce que c’est que ce galimatias ?! hurle Petit Tom. Tout ce temps pour écrire ÇA !

         — Ça quoi ? interroge étonné Franck le coq.

         — Ces quelques lignes qui ressemblent… qui ressemblent… à tout sauf à une lettre d’amour ! s’énerve Petit Tom.

          Se calmant, il ajoute :

         — Il faut que tu comprennes une chose : Isabelle la coccinelle est une demoiselle délicate et superbe. Avec ses élytres rouges et ses sept points noirs, elle ressemble à… elle ressemble à…

         — À une coccinelle ! ironise Franck le coq.

         — C’est ça ! À une coccinelle ! confirme Petit Tom. Mais pas n’importe quelle coccinelle, non ! Isabelle, c’est la reine des coccinelles, la plus belle des coccinelles, la plus douce, la plus charmante, la plus…

         — J’ai compris, l’interrompt Franck le coq. Nous allons lui écrire un poème.

         Et d’un geste précieux, il arrache une nouvelle plume de sa queue, la taille en pointe, et se plonge dans l’écriture.

        

         Trois heures plus tard, Franck le coq tend un feuillet à Petit Tom.

         — Là je me suis surpassé, dit-il fièrement.

   Voyons cela, répond Petit Tom en lisant :

                                      Belle Isabelle,

Isabelle la coccinelle

tu es plu belle qu’une poubelle,

plus charmante qu’une éléphante,

plus fine qu’une bovine,

plus jolie qu’un tapis.

Isabelle

je t’aime autant

que la mortadelle,

oui, autant !

Petit-Tom-Le-Grand-Poète

 

         — Qu’est-ce que c’est que ce pataquès ?! s’étouffe de colère Petit Tom. Ah ! oui ! tu t’es surpassé… en… en… en médiocrité ! Voilà ! Il fallait que ça sorte !

         Franck le coq n’en croit pas ses oreilles ! C’est la première fois qu’on l’humilie de la sorte !

         — Puisqu’il en est ainsi, dit-il le bec serré, désormais je garderai mon talent pour qui le reconnaît ! Inutile de me payer, c’est gratuit !

         Et il montre la sortie à Petit Tom.

 

         Rentré chez lui, Petit Tom est navré.

   Je n’ai toujours pas de lettre pour Isabelle, marmonne-t-il.

Alors qu’il va pour mettre sa tête entre ses mains, son regard se pose sur la corbeille à papier. Il se lève machinalement, et tout aussi machinalement, se saisit d’un morceau de feuille froissé qui gît au fond de la corbeille. Après l’avoir déplié, il lit :

 

Chère Isabelle,

   En me promenant le long de la rivière, j’ai croisé votre beauté, et la vie m’a paru plus belle.

   Je ne sais comment vous dire ce que j’éprouve pour vous. Les mots me manquent.

   Sachez seulement que vous êtes dans mes pensées jour et nuit. Que votre présence m’est nécessaire.

Petit Tom

 

         — J’ai écrit ce brouillon avant d’aller chez Franck le coq, se souvient Petit Tom. Il n’est peut-être pas génial, mais il est sincère.

         Et tout en explosant de rire (en pensant à Franck le coq), Petit Tom recopie le texte au propre, le glisse dans une enveloppe toute bleue sur laquelle il inscrit :

 

à Isabelle la coccinelle

rue des fleurs

près de la rivière

 

© Daniel LEDUC

 

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